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article de messaoudi djaafar 3

L’après constitutionnalisation de tamazight

jeudi 19 octobre 2006, par Djaafar Messaoudi


Observation : L’article suivant a été rédigé en 2002 et publié dans la revue "izûran", mais il demeure encore d’actualité.

L’après constitutionnalisation de tamazight

Proposé par l’auteur, Messaoudi Djaafar

Tout d’abord, afin de juger à sa juste valeur la mesure prise par le Chef de l’État lors de son discours du 12 mars 2002 et démesurément amplifiée par ses relais (médias lourds et certains politicards) dans le but d’apaiser les esprits et rendre possible la tenue de la mascarade électorale du 30 mai en Kabylie, nous avons le devoir de préciser que la constitutionnalisation de tamazight langue nationale ne constitue en réalité qu’une infime avancée de la cause pour laquelle nous avons tant lutté et tant souffert ; le plus important pour tamazight a été intentionnellement éludé. C’est-à-dire, si l’État avait eu la volonté de prendre sérieusement en charge la langue amazighe, il aurait fait suivre la mesure suscitée par d’autres encore plus urgentes et plus utiles pour notre langue, à savoir :

1 - L’officialisation de la notation consacrée par l’usage :

L’histoire de la notation à base latine remonte à plus de 150 ans. Depuis les premières années de l’invasion française de l’Afrique du Nord, des sociologues el des linguistes venus d’Europe et travaillant sous les ordres des autorités militaires sillonnaient les territoires berbérophones dans le but de connaître la société et la langue amazighes pour mieux maîtriser les Berbères qui leur montrèrent une farouche résistance. Comme résultat des missions effectuées par ces européen-là, beaucoup d’ouvrages (livres contenant des textes en berbère, manuels de grammaire, dictionnaires bilingues) transcrits en alphabet latin modifié, virent le jour.

Après l’indépendance, des intellectuels kabyles - tous francophone - prirent la relève et se lancèrent dans l’écriture en leur dialecte en utilisant bien sûr les caractères latins. Ainsi, largement diffusés par les écrits des linguistes et des écrivains, lesdits caractères ont aujourd’hui fini par envahir même l’environnement (voir en Kabylie panneaux routiers, enseignes de boutiques, graffitis, emballage de certains produits de consommation, etc.), pour cette raison, et de surplus en raison de l’absence de toute autre notation concurrente sur le terrain, la notation à base latine s’impose par elle-même. Il va de soi que le choix de toute autre notation signifiera la mise à mort de tamazight.

Ceci dit, il est par conséquent très urgent que l’État, par la force de la loi, tranche en faveur de la notation susmentionnée. Par pareille décision, il coupera court à toute spéculation qui viserait à empêcher tamazight d’acquérir le statut de la langue officiellement écrite1.

2 - L’officialisation de la langue amazighe :

En l’absence, depuis la nuit des temps, d’un vrai Etat amazigh qui aurait pu empêcher le processus de dialectilisation de se déclencher, ou du moins de se développer à une cadence infernale, tamazight s’est éparpillée en plusieurs parlers locaux. Et bien que ces parlers ne soient pas aujourd’hui tout à fait distincts, il en demeure quand même des barrières assez importantes qui rendent difficile l’intercompréhension lorsqu’on se déplace d’une région à l’autre de la berbérie.

Certains pensent qu’il est possible d’unifier les dialectes qui regroupent lesdits parlers en les développant ensemble et en même temps. Il suffit uniquement de se baser sur les affinités et renforcer la procédure par l’introduction des mêmes néologismes dans les dialectes concernés pour que ceux-ci se convergent et s’unifient de nouveau en fin de parcours.

En réalité, ce ne sont là que des illusions : les dialectes en question peuvent certes s’unifier sur le plan lexical et encore relativement, et après un laps de temps qui peut s’étendre sur des siècles, mais qu’en serait-il de la grammaire et de la prononciation qui sont aussi des facteurs décisifs dans l’intercompréhension ? Les adeptes de la méthode précitée ne les ont pas pris en compte, ce qui rend donc illusoire l’objectif visé à travers leur procédure.

A mon avis, la solution la plus pratique et la plus immédiate serait plutôt le choix d’un seul dialecte puis sa généralisation par l’enseignement, Mais afin que ce choix ne soit pas entaché de subjectivité, il doit reposer sur des critères établis à partir d’une étude sociolinguistique de tamazight.

L’étude que nous avons effectuée dans ce but-ci nous a permis de ressortir 5 critères, à savoir : (a) l’existence d’une tradition d’écriture au sein des locuteurs des dialectes cibles : (b) l’existence d’une littérature écrite ; (c) la disposition des communautés concernées de médias, en particulier la télévision et la radio, (d) l’étendue géographique et la notoriété des dialectes présentés au choix et (c) la part du sacrifice de chaque communauté pour tamazight.

A travers cette étude, nous avons constaté que le seul dialecte qui répond aux critères suscités est bel el bien le kabyle. Les Kabyles sont en effet les premiers parmi tous les Berbères à avoir entrepris l’écriture en leur dialecte. En fait, depuis la deuxième période des années 40, les érudits kabyles, dont Boulifa et Mouloud Mammeri, écrivaient en leur dialecte, transcrit en caractères latins, tout ce qu’ils rassemblaient en matière de poésie et contes populaires kabyles. Ensuite, une nouvelle génération d’écrivains et de chercheurs, dont Salem Chaker, Kamal Nait Zerrad et Amar Mezdad apparut pour continuer l’oeuvre entamée par les pionniers susnommés. Résultats, beaucoup d’ouvrages (recueils de poésie, nouvelles, romans, dictionnaires, etc.), écrits en kabyle, transcrits en caractères latins modifiés, furent édités. On peut dire donc qu’aujourd’hui le kabyle dispose d’une tradition d’écriture et d’une littérature écrite assez importantes, ce qui le rend comme le dialecte le plus apte à devenir la langue commune des Berbères en Algérie.

A cela s’ajoute le fait que le kabyle est le premier et le seul parmi les dialectes berbères à avoir eu accès au domaine de l’audiovisuel. en plus de la radio chaîne II héritée du colonialisme, ledit dialecte dispose actuellement d’une autre station radio et d’une chaîne de télévision émettant depuis la France (BRTV). Le kabyle jusqu’à nos jours le seul utilisé au cinéma (films : Adrar n Baya, Tawrirt yettwattun, Macahu). Sans oublier qu’il est également aujourd’hui l’unique dialecle utilisé dans la presse (titres : Izuran, ABC-Amazigh,...).

En outre, contrairement aux autres dialectes confinés dans leurs régions en raison du conservatisme sclérosant qui empêche la plupart des locuteurs d’avoir des contacts avec les étrangers (voir les Mozabites) et du sentiment de dévalorisation qui accompagne d’autres locuteurs (voir les Chaouis et les Chenouis) les obligeant d’adopter d’autres langues que la leur toutes les fois qu’ils se déplacent hors de leur environnement immédiat, le kabyle s’est déployé pour atteindre même l’Europe et le Canada2 où une forte communauté kabylophone vit pleinement son identité amazighe i.e. ; par la pratique de la langue maternelle, l’attachement aux coutumes ancestrales et la lutte, avec toutes ses formes pacifiques, en faveur de tamazight.

Le dialecte kabyle est aussi la langue de l’intelligentsia berbère (M.Mammeri, M.Feraoun, T.Djaoul, S-Chaker.A.Abdenour, etc.), des politiciens de renom (H.Ait Ahmed, S.Sadi, M. Aït Larbi, A.Y-Abdenour, M. Issaad, etc.) et des artistes célèbres (Ait Menguellet, Matoub, Idir, Takfarinas, Ferhat, etc.)3 qui ont tous contribué à la diffusion et à la notoriété dudit dialecte aussi bien en Algérie qu’à l’étranger.

Finalement, la Kabylie est la seule région berbérophone qui a tant lutté et tant souffert pour la cause berbère. Qui de nos jours ignore la signification du Printemps berbère, un 30 avril 1980 où des étudiants kabyles, ayant soulevé le problème identitaire, furent attaqués à l’enceinte même de l’université de Tizi-Ouzou par une horde de bâtards à la solde d’un régime extrêmement opposé à tamazight ? Et aujourd’hui, alors que les Kabyles offrent jusqu’à leurs vies pour que vive tamazight, les habitants des autres régions berbérophones continuent de s’enliser dans leur propre mutisme comme si cette langue leur est totalement étrangère. Il va de soi donc que c’est le dialecte des Kabyles qui mérite d’être promu au rang de la langue commune.

L’État algérien est par conséquent appelé à appliquer immédiatement celle mesure ; et la meilleure façon pour que sa décision ait un écho dans toute l’Algérie c’est d’émettre un décret présidentiel ou ministériel donnant officiellement le statut de la langue nationale et officielle (à côté de l’arabe) au dialecte kabyle.

3 - La création d’une académie de langue amazighe en Algérie :

Une telle institution aura pour mission de veiller sur l’épanouissement, le développement et la vulgarisation de tamazight. Elle émettra des recommandations concernant la langue (diffusion de normes de bon usage), elle enrichira la langue par la récupération des unités lexicales tombées en désuétude ou en voie de disparition et par l’introduction des néologismes, elle s’occupera du contrôle des publications afin, au moins, de réduire les écarts par rapport a la norme de la langue standard, elle encouragera la production littéraire scientifique / linguistique en organisant régulièrement des colloques et des concours de meilleures œuvres, etc.

Pour que son travail soit efficace, ladite institution doit réunir de véritables spécialistes en langue et culture amazighes. Quant à l’État, si vraiment il a de bonnes intentions envers tamazight, il doit mettre à la disposition desdits spécialistes tout ce dont ils auront besoin pour l’accomplissement des tâches qui leur sont confiées.

4 - Le déverrouillage du champ médiatique :

La télévision et la radio, à côté de l’école, jouent un rôle extrêmement important dans la vulgarisation et le développement de la langue. Pour cette raison, la première action à entreprendre dans ce domaine, si l’État entend effectivement à mettre tamazight à pied d’égalité avec l’arabe, est le renforcement du paysage médiatique algérien par une chaîne de télévision publique en langue amazighe, laquelle chaîne doit être dotée, comme l’ENTV, de tous les moyens : humains, structurels et financiers.

En plus, l’État doit ouvrir ce secteur sensible aux hommes d’affaires afin qu’ils créent, à l’instar de la BRTV installée en France, leurs propres chaînes de télé vision en tamazight.

Concernant la radio, l’État a le devoir avant tout d’améliorer les infrastructures de la chaîne II qui, actuellement, n’est même pas captée convenablement en Kabylie4. En outre, les autorités doivent la doter en personnels qualifiés et en moyens financiers afin de pouvoir réaliser des émissions a la hauteur de son public, Ensuite, comme pour la télévision, l’État doit réfléchir à ouvrir les voies aux privés pour qu’ils puissent investir dans la création de chaînes, à l’étendue nationale nu régionale, en langue berbère.

5 - L’encouragement des activités culturelles amazighes :

Il existe en Algérie, dans les domaines du théâtre et du cinéma, des acteurs et des réalisateurs berbérophones de haut niveau5. Ce qui manque ce sont plutôt des locaux où l’on peut s’exercer et exercer son métier. Pour cela, l’État est appelé à construire - ou à laisser le privé construire - des théâtres et des studios pour le besoin de la réalisation et / ou du doublage de films en langue amazighe. En plus, l’État doit lever toute contrainte susceptible de gêner un producteur de films amazighs6. En fait, l’importance des facilités que les autorités compétentes doivent offrir à un producteur réside dans le fait qu’elles incitent les autres producteurs à s’impliquer dans l’expérience, certes très récente mais très prometteuse, de ta production de films en langue berbère.

6 - L’introduction de tamazight dans l’environnement :

Si la Kabylie a déjà avancé d’un grand pas dans ce domaine, il reste d’autres régions, de surcroît amazighophones, qui n’ont jamais connu une telle expérience. Pour cela, et afin de concrétiser le caractère national de tamazight, l’État doit lancer une campagne de berbérisation de l’environnement (noms de villes et villages, de rues, d’institutions, de boutiques, de cours d’eau, etc.) à l’échelle nationale. Et pour que cette opération se réalise sur le terrain, elle doit être renforcée par une loi, comme celle obligeant tout commerçant d’écrire en arabe le nom de son activité sur l’enseigne de sa boutique.


Notes :

1. Un groupe de pseudo-linguistes islaino-baathistes qui n’ont jamais rien apporté à tamazight a récemment monté sur scène appelant à l’adoption des caractères arabes.

2. A titre d’exemple, le Club Amazigh Averroès de Montréal a adressé une lettre au Ministre français de l’éducation, M Jack Lang, dans laquelle il soutient l’enseignement de tamazight en France où cette langue existe déjà comme épreuve facultative au baccalauréat,

3. La chanson de "A-yemma ṣber ur ttru", de Farid Ali, a été chantée même par des Chinois lors d’une semaine culturelle chinoise à Alger dans les années 80.

4. L’État algérien a investi des sommes colossales d’argent dans la création des trois (la quatrième étant en voie de réalisation) chaînes de télévision utilisant l’arabe et le français, comme il a renouvelé l’infrastructure des radios chaîne I et chaîne III, mais il continue de tourner son "derrière" a tout ce qui peut développer tamazight.

5. Rappelons que la gloire de la plupart des films et pièces théâtrales de l’Algérie post-indépendante a été faite par des acteurs kabyles (Rouiched, M. et S. Hilmi, H. El Hassani, S-A. Agoumi, Ch Nordine, A. Kadri dit Qriquech, etc.).

6. Qui ne se rappelle des entraves qu’a connues le film « tawrirt yettwattun » de Bouguermouh, juste avant et pendant sa réalisation ?

source: http://www.kabyle.com/spip/spip.php?article11235



18/09/2008
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